“Processus électoraux post transitions : quelle participation des jeunes et de la société civile ?” Tel est le thème du troisième vendredi du MOOC, organisé le 2 septembre 2022 par AfricTivistes. Ce webinaire entre dans le cadre des activités pédagogiques du MOOC Démocratie, Élections et Gouvernance en Afrique.
Ce sujet, à la fois sensible et d’actualité, est malheureusement propre au continent, plus de 60 ans après l'indépendance de la majorité des États. Ces trois dernières années on a dénombré au moins 5 coups d'État en Afrique : (2) deux au Mali, (1) un au Tchad, (1) un en Guinée, (2) deux au Soudan et (1) un au Burkina Faso au moment de la tenue de la session. Sans compter le coup d’État manqué en Guinée Bissau. A préciser qu’après ce webinaire, un nouveau coup d’État a été malheureusement opéré au pays des hommes intègres où le gouvernement de transition dirigé par le lieutenant-colonel Paul Henry Sandaogo Damiba a été renversé par le capitaine Ibrahima Traoré.
Et dans tous ces pays où des coups d’État ont eu lieu, on retrouve des juntes militaires qui arrivent au pouvoir et qui dans la plupart du temps promettent des transitions contestées par les organisations sous régionales comme la CEDEAO, la CEMAC et plus largement l’UA.
Pendant ce temps, il est constaté de nombreuses situations qui témoignent du rétrécissement des espaces civiques dans un contexte où les jeunes exigent de plus en plus de liberté et expriment fortement leur opinion. Les panélistes se sont largement épanchés sur le sujet non sans proposer des pistes de solutions pour une plus grande implication des jeunes dans les affaires politiques.
Ce webinaire a été animé par :
Valdiodio Ndiaye, Représentant Pays de l’Institut Électoral pour une Démocratie Durable en Afrique (EISA),
Nerima Wako-Ojiwa, directrice exécutive de Siasa Place
Sally Bilaly Sow, Web Activiste et consultant en nouveaux médias,
VALDIODIO NDIAYE, REPRÉSENTANT DE EISA AU MADGASCAR
"Dans beaucoup de pays, il y a une certaine opacité autour de la transition”
"Il faut d’abord préciser qu’on parle ici de transition politique et cela se caractérise par un changement qui découle d’un ou de plusieurs évènements. Aujourd’hui, les transitions politiques sous-tendent souvent une transition constitutionnelle. (...) Depuis le début des années 2020, le continent africain a connu trois interruptions brutales de l’ordre constitutionnel. Et l’Afrique de l’ouest (Guinée Conakry, Mali, Burkina Faso) est très touchée mais également l’Afrique de l’est et du centre (Soudan et Tchad). Globalement, il y a une absence de visibilité et de clarté sur là où nous voulons aller. Aujourd'hui, en Guinée, c’était d’abord 39 mois de transition. Par la suite, elle a été prolongée. Idem pour le Burkina Faso et le Soudan où c’est un flou artistique. Pour le Tchad, c’est la même chose, aucune visibilité. Au Mali, on a installé une nouvelle transition qui doit aller jusqu’en 2024. Une analyse très simple permet de se rendre compte que les discussions n’ont pas profité au Mali. Beaucoup de concertation et on parle de nouvelle constitution. (....)
Il faut relever en outre que l’Union africaine (UA) a une stratégie d’anticipation des changements anticonstitutionnels. La Charte Africaine pour la Démocratie, les Élections et la Gouvernance (CADEG) a été claire à ce niveau et elle condamne vigoureusement tout arrêt de l’ordre constitutionnel. Et s’il y avait une application rigoureuse de cette charte, la donne aurait changé. Dommage qu’il existe encore des pays dans le continent qui n’ont pas ratifié cette charte. Même le Sénégal ne l’a pas encore fait. Si elle était appliquée en toute objectivité, je pense que nous allions dépasser cette phase-là. Donc, cela montre que les textes peuvent être assez révolutionnaires mais leur application pose problème. Et c’est à ce niveau que doivent agir les organisations de la société civile africaine. Elles doivent s’organiser davantage pour mettre la pression sur les États et inverser cette tendance. Force est de reconnaître par ailleurs qu’il faut réformer en profondeur l’UA parce que la présence des Chefs d’Etat au niveau de décisions est telle qu’on le veuille ou non, il y a un ralentissement excessif des décisions. Ce qui fait qu’il est très difficile d’appliquer cette charte.
Il faut donc travailler dans une démarche consistant à fédérer les forces vives africaines. L’activisme est également une excellente chose pour essayer de mettre en cohérence les États avec les principes démocratiques. En plus de la dénonciation, il faut de la contre-proposition. Aujourd’hui, nous nous rendons compte que dans beaucoup de pays en transition, il y a une certaine opacité autour de ça.
Pourtant, en Guinée par exemple, où je connais la société civile, il y a des compétences capables de concevoir des propositions très techniques et les promouvoir par des manifestations, des débats, etc. Au niveau africain, les OSC doivent être aujourd’hui en mesure de proposer une Constitution, un Code électoral, et même faire des propositions extrêmement pointues sur le cycle électoral. Quand je prends l’exemple du Sénégal, la Commission électorale nationale autonome (Cena) a été obligée de faire un appel aux jeunes pour gérer la dimension TIC. C’est pourquoi au Burkina, il faut que les jeunes se battent pour être dans les commissions électorales.
Donc, les jeunes doivent s’impliquer. Ainsi, il faut développer une approche éducation civique électorale. La société civile électorale doit éduquer les gens afin qu’ils se déploient sans attendre même des financements de la part des organisations ou autres partenaires. C’est à partir de là qu’on peut avoir une légitimation des futurs dirigeants. Après, travailler sur l’observation entre autres aspects qui peuvent être importants dans le processus. L’implication dans les activités doit être forte. Il ne faut pas laisser le terrain aux partis politiques qui sont dans les relations d’intérêt. (...)”
NERIMA WAKO OJIWA, DIRECTRICE EXÉCUTIVE DE SIASA PLACE
“Les jeunes ne font pas confiance aux institutions en charge des élections”
“Nous avons créé l'organisation SIASA PLACE parce que nous avons estimé que trop peu de jeunes se trouvaient dans les bons espaces, avaient de bonnes conversations et avaient un impact en matière de politique. La politique affecte tout, du prix de la nourriture au type d'éducation ou aux opportunités. Et c'est ce que nous essayons de faire comprendre aux jeunes.
Dans notre travail, nous aidons la commission électorale kényane à atteindre les jeunes, à communiquer avec eux et à les encourager à s'inscrire et à participer. Lors de la dernière présidentielle dans le pays, les jeunes ne se sont pas inscrits massivement. Quand on parle des chiffres, c'est 38,9 %. Une baisse par rapport à 2017, qui était légèrement supérieure à 50%. C'est une tendance que nous allons voir dans nos pays en ce qui concerne la participation. Nous allons voir une baisse, notamment du nombre de jeunes femmes.
A la question de savoir pourquoi les jeunes ne sont pas intéressés par la chose politique, il faut juste dire qu’ils ne font pas confiance aux institutions en charge des élections parce que considérant qu’elles ne sont pas indépendantes. Ils disent souvent, je cite " pourquoi faire la queue pour voter alors qu'ils ont déjà décidé du vainqueur ? ". Ensuite, il faut noter que pour les jeunes, voter n'est pas considéré comme une responsabilité. Pour cette génération, c'est un choix. Ils choisissent donc de ne pas s'engager. (...)
Toutefois, il y a des pays qui font des efforts pour inverser cette tendance. Au Kenya, pour intéresser notamment les jeunes, le bureau d'enregistrement des partis politiques dispose d'une plateforme d'enregistrement en ligne. Parce que le constat c’est que les jeunes sont minoritaires dans les partis. Ils doivent donc comprendre que l'influence vient de la participation. En Zambie, nous avons constaté une augmentation de la participation des jeunes aux élections grâce à la possibilité de s'inscrire en ligne. Nous devons commencer à penser à l'avenir de l'engagement. Surtout que les jeunes d'aujourd'hui veulent quelque chose de rapide, facile et clair.
En outre, concernant l'engagement dans les médias sociaux, il faut d’abord relever qu’il y a souvent beaucoup de fausses informations en rapport avec les élections. Ce qui est aujourd’hui un défi à relever. Nous devons lutter contre la montée de la propagande et des fausses informations profondes.
SALLY BILALY SOW, WEB ACTIVISTE ET CONSULTANT EN NOUVEAUX MÉDIAS
“La jeunesse a un grand rôle à jouer doit être au-devant de ce combat”
“Nous, en tant que jeunes et membres de la société civile guinéenne, n'avons aucune lisibilité sur la transition. Tous les espoirs que nous avions nourris ont viré au cauchemar. Au lendemain du coup d'État (5 septembre 2021), il y avait un optimisme même si certains ont gardé dès le départ leurs distances. Il y a une partie de la société civile qui depuis le début de la transition essaie de mettre la pression.
Ce qu'on peut dire aujourd’hui, c’est qu’il ya pas une réelle volonté pour instaurer le dialogue de la part des autorités de la transition. Même s'il existe des initiatives de régionales, sous régionales voire même continentales de médiation. La junte au pouvoir développe une ambition non affichée.
La société civile guinéenne doit participer aux processus de dialogue. Mais doit également mener des actions pour faire le suivi de la transition.
Il existe une forte demande pour rectifier la transition. Et la jeunesse qui a un grand rôle à jouer et au-devant de ce combat. Sept jeunes guinéens ont perdu la vie durant les manifestations contre la junte au pouvoir. Le travail abattu par des organisations comme le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC). Actuellement des jeunes militants sont dans la clandestinité pour avoir osé demander une redirection de la transition et pour plus de transparence.”
Il faut noter qu'en définitive une trentaine de participants a suivi la rencontre qui a été très interactive et qui démontre encore que le débat autour de la politisation des jeunes mérite d’être entretenu.A bientôt pour un nouveau webinaire sur une autre thématique traité dans le cadre du MOOC Démocratie, Élections et Gouvernance en Afrique.
Par Seydina Bilal DIALLO et Abdou Aziz CISSE