Le numérique, garde-fou de la démocratie en Afrique !

Les Vendredis du MOOC Démocratie, Elections et Gouvernance

“Les initiatives Civic Tech : remparts contre la restriction de l’espace civique en Afrique ?” Tel est le thème du quatrième webinaire organisé le 14 octobre 2022 par AfricTivistes dans le cadre du MOOC Démocratie, Élections et Gouvernance activité du Charter Project Africa
 

Ci-dessous le podcast 


L’objectif général de ce webinaire est d’ouvrir une réflexion sous forme d’une discussion collective autour du rôle des Civic Tech dans l’optique de la sauvegarde des acquis démocratiques en Afrique. Plus spécifiquement, il s’agit de faire un état des lieux de la contribution des Civic Tech dans la démocratisation en Afrique (2010-2022); d’identifier les défis politiques et démocratiques à court et moyen terme que les Civic Tech pourraient solutionner et d’énumérer des recommandations pour permettre aux populations de mieux s’approprier les outils technologiques dans une dynamique de participation citoyenne active. 

Ce webinaire a été modéré par M. Maurice Thantan, Chargé de projet à AfricTivistes. Il a été animé par Jaly Badiane, Web Activiste, Présidente de l'association Wa Mbedmi et co-fondatrice du projet Senegal Vote; Glory Cyriaque Hossou, Juriste et spécialiste des droits humains, Amnesty Bénin et Shikoh Kihika, Directrice Exécutive de Tribeless Youth.

Jaly Badiane, Web Activiste, Présidente de l’Association Wa Mbedmi et co-fondatrice du projet Senegal Vote 

“Les populations s'approprient les outils numériques pour en faire des canaux de promotion de la citoyenneté et de contestation”

“Les civic tech ont fait leur apparition en Afrique depuis une quinzaine d'années. Au Sénégal par exemple, les initiatives Civic Tech participent au rayonnement de la démocratie et à renforcer le contrôle citoyen à travers les outils digitaux comme Sunu Vote 2012. Mais, il y a également d’autres projets dans les pays voisins comme #MaliVote, #GuinéeVote; en plus d’initiatives développées dans d’autres secteurs comme l’éducation et la santé.

Ces dernières années, énormément de projets ont été mis en place dans le cadre du renforcement de la démocratie pour permettre aux citoyens d’avoir une tribune d’expression. Et cela a porté ses fruits en Afrique. 

Les Africains sont à la recherche de liberté et de terrain d’expression d'où cette utilisation spécifique d’internet dans le continent. Les populations s'approprient de plus en plus ces outils numériques pour en faire des canaux de promotion de la citoyenneté et de contestation. Ils permettent aussi d’influer sur les décisions du gouvernement et c’est important de faire le bilan de cet aspect sociologique de l'utilisation d’internet. 

Il faut savoir que le projet "Sénégal Vote” est né du constat selon lequel les élections législatives de 2017 ont laissé transparaître de nombreux problèmes. C’était les pires élections depuis 2000 en termes de taux de participation, d’organisation et de partage de l’information électorale. Nous sommes partis de ce constat pour pouvoir relever le taux de participation parce que 250 000 primo votants atterrissent sur le fichier électoral chaque année. Donc, il a fallu mettre en place une plateforme pour sensibiliser mais aussi pour simplifier l'information électorale pour les citoyens et plus particulièrement pour les jeunes sur l’importance du vote, sur les candidats et leur programmes, sur les processus de prise de décision etc. Au-delà, nous faisons aussi le contrôle de l’action publique, le monitoring et le suivi des promesses. 


Aujourd' hui, on intègre d'autres domaines d'expertise comme les questions liées à l’environnement, le genre, le droit des femmes,... en utilisant toujours le numérique.

Il faut relever d’abord que la stabilité politique a beaucoup joué sur le succès de #SenegalVote car on n’a pas eu réellement d’interruptions. Le contexte socio-politique dans lequel le projet se déploie est propice à son développement. Ensuite, une réflexion a été menée en amont surtout concernant l'exécution et les changements nécessaires pour pouvoir adopter les outils et surtout combiner les actions en ligne avec les actions de terrain. Certes, la partie en ligne est primordiale, mais nous sommes également allés à la rencontre des jeunes et des utilisateurs de nos plateformes dans plusieurs régions du Sénégal pour pouvoir les impliquer. 

Le projet est né sur la sphère numérique. Cependant force est de constater que tout le monde n’a pas accès aux outils technologiques et on se demande si ceux qui ont accès à internet ont réellement les capacités de pouvoir comprendre le sens d’une telle initiative et surtout de faire de #SenegalVote un modèle sur les questions citoyennes. Mais également, nous avons voulu susciter des vocations et faire comprendre aux citoyens qu’eux aussi ils peuvent déployer des projets civic tech à fort impact social et pas seulement sur le domaine du monitoring électoral. Cette jonction entre le travail en ligne et le travail de terrain, nous a permis d’avoir des résultats concrets depuis le lancement de l'initiative.

Enfin, nous avons procédé au maillage du territoire national et une collaboration avec d'autres organisations sous régionales. Avant “Sénégal Vote”, il y a eu #MaliVote, #GuineeVote… et nous nous sommes inspirés de ce qui été déjà fait dans tous ces pays voisins et apprendre sur les points positifs et négatifs. Des discussions ont été menées sur ce que deviendra le projet si une fois on a des soucis d’internet.

Enfin, nous avons procédé au maillage du territoire national et une collaboration avec d'autres organisations sous régionales. Avant “Sénégal Vote”, il y a eu #MaliVote, #GuineeVote…  et nous nous sommes inspirés de ce qui été déjà fait dans tous ces pays voisins et apprendre sur les points positifs et négatifs. Des discussions ont été menées sur ce que deviendra le projet si une fois on a des soucis d’internet.

De plus en plus, dans nos pays, la menace de restrictions voire de coupures de l’internet pèsent sur les citoyens et plus particulièrement sur les web activistes. Donc, il est important aussi qu’en Afrique qu’on apprenne à travailler en synergie dans une dimension régionale et continentale pour partager nos expériences mais aussi partager les échecs afin qu’ils soient des leçons pour les futurs initiatives.”

Glory cyriaque Hossou, Juriste et spécialiste des droits humains, Amnesty Bénin


“Si on maîtrise les mécanismes de protection régionale, on peut contraindre les gouvernants et les décideurs publics à respecter les droits des citoyens”

“Avec l'événement des civic tech, il y a un certain rééquilibrage de la démocratie et le citoyen est placé au cœur du système. Le constat est qu'à un moment donné, la démocratie tendait plus vers une gouvernance des élites politiques alors que les citoyens sont au cœur de la vie publique.

Je pense que les politiques ne devraient pas considérer les Civic Tech comme des menaces. Ce sont plutôt des alliés dans la sauvegarde et la protection de la démocratie car in fine ces solutions ont pour but d'améliorer les acquis démocratiques. Mais malheureusement, ce qu’on a vu sous nos cieux ces dernières années, c'est qu’elles n’ont pas été vues comme de réelles opportunités par les politiques mais en tant que menaces. Ainsi, les hommes et les femmes qui mettent en place ces projets sont aussi considérés comme des dissidents ou adversaires politiques alors que les civic tech visent à améliorer la démocratie.

Cette vision qu’ont les politiques des solutions technologiques conduit inéluctablement à des restrictions de l’espace civique. C'est ce qu'on a constaté ici au Bénin avec l’arrestation d’acteurs de la société civile et la restriction de l'expression sur le web et sur l’espace public.

L'accès à l'information contribue à améliorer la vie politique. Au-delà, je prends en exemple des initiatives au Bénin et au Burkina Faso qu’on appelle le “Présimètre” qui sont des plateformes technologiques de contrôle citoyen et d'évaluation des politiques publiques et des promesses des candidats devenus président de la République. Ces genres d'initiatives devraient pousser des candidats élus à ne pas s'éloigner de leurs promesses. C’est en ce sens que les Civic Tech sont des alliés car ils permettent aux élus de faire le bilan à la veille d'élections.

La question de savoir comment parvenir à s’adapter dans un environnement restrictif et de plus en plus autoritaire face au développement des tics est au centre de l'actualité et du débat. Je vais commencer par dire qu’il est important de noter l'amélioration de cadres législatifs protecteurs dans certains pays des initiatives Civic Tech et des personnes qui les implémentent. Il faut également maîtriser le contexte législatif de de son propre pays ou le pays dans lequel on développe un projet de technologie civique et voir comment travailler et s'épanouir dans un contexte donné. 

Nous devons aussi travailler à améliorer les contextes restrictifs et limitatifs de l’expression des libertés. Donc, dans un contexte où la démocratie n’est pas suffisamment promue, il faut travailler à faire des plaidoyers pour son respect. Après je dirais qu’il faut connaître les mécanismes de protection car elles existent pour tout le monde sans distinction aucune. En effet, les porteurs d'initiatives Civic Tech qui sont victimes de restrictions peuvent saisir ces mécanismes de protection des droits humains. Les mécanismes de protection au niveau régional sont les derniers remparts face à l’arbitrage au niveau local. En 2017, pour empêcher les opposants togolais de manifester leur mécontentement, les autorités avaient coupé internet. Les Togolais ont travaillé à faire condamner cet acte du gouvernement qui constitue une violation notoire de la liberté d’expression et d'accès à l’information. 

L'accès à l'information contribue à améliorer la vie politique. Au-delà, je prends en exemple des initiatives au Bénin et au Burkina Faso qu’on appelle le “Présimètre qui sont des plateformes technologiques de contrôle citoyen et d'évaluation des politiques publiques et des promesses des candidats devenus président de la République. Ces genres d'initiatives devraient pousser des candidats élus à ne pas s'éloigner de leurs promesses. C’est en ce sens que les Civic Tech sont des alliés car ils permettent aux élus de faire le bilan à la veille d'élections.

Après je dirais qu’il faut connaître les mécanismes de protection car elles existent pour tout le monde sans distinction aucune. En effet, les porteurs d'initiatives Civic Tech qui sont victimes de restrictions peuvent saisir ces mécanismes de protection des droits humains. Les mécanismes de protection au niveau régional sont les derniers remparts face à l’arbitrage au niveau local. En 2017, pour empêcher les opposants togolais de manifester leur mécontentement, les autorités avaient coupé internet. Les Togolais ont travaillé à faire condamner cet acte du gouvernement qui constitue une violation notoire de la liberté d’expression et d'accès à l’information. 

En 2020, la Cour de justice de la Cedeao avait sorti une décision inédite en reconnaissant l'État togolais comme auteur de violation de liberté d’expression et d'accès à l’information. Preuve que si on maîtrise les mécanismes de protection régionale, on peut obtenir des décisions de principe pour contraindre les gouvernants et les décideurs publics à respecter les droits des citoyens.

Il faut également améliorer les cadres législatifs car ils permettent aux porteurs d'initiatives Civic Tech de pouvoir développer aisément leurs activités sans craindre aucune représaille. Donc, pour résumer il faut maîtriser les contextes, les mécanismes de protection et les cadres législatifs pour améliorer et garantir l’existence pérenne des actions des solutions technologiques au service de la citoyenneté.”


Shikoh Kihika, Directrice Exécutive de Tribeless Youth

“Les jeunes sont conscients de leur pouvoir mais pas encore du pouvoir des Civic Tech”

“ Les jeunes sont conscients de leur pouvoir et savent que les Civic Tech sont très importantes mais peut être qu' ils ne sont pas encore sensibilisés sur le pouvoir des plateformes numériques. Les jeunes sont majoritaires dans nos pays et ils s'engagent de manière différente. Donc, il est très important d'identifier nos cibles avant de déployer nos actions.

Je suis également convaincu que les plateformes numériques ne sont pas conçues de manière à refléter nos réalités africaines. L’un des défis majeurs, c’est de créer nos propres plateformes qui correspondent à nos réalités sociologiques. L’autre aspect, c’est d’avoir des partenaires qui croient vraiment en la capacité de la jeunesse en tant qu’acteur de changement. Je travaille dans les Civic Tech depuis sept (7) ans, et je me rends compte que les jeunes kényans sont conscients du pouvoir de ces plateformes et mettent la pression sur leurs dirigeants par rapport aux thèmes qui les concernent. 

Je prends le cas de notre ancien Président Uhuru Kenyatta avec son endettement non maîtrisé au niveau du Fonds Monétaire Internationale (FMI). Voyant que les dettes s'accumulaient, des jeunes kenyans ont mis en place une plateforme et une forte mobilisation avec le hashtag #stoploaningKenya pour demander à l'institution financière internationale d’arrêter de prêter de l’argent au pays. Les jeunes qui ont créé cette plateforme sont considérés par nos dirigeants comme des opposants. Pourtant, ces derniers demandent simplement aux autorités de répondre à leurs interrogations.

Les jeunes sont conscients de leur pouvoir et savent que les Civic Tech sont très importantes. Sûrement, ils ne sont pas encore sensibilisés sur le pouvoir des plateformes numériques. 

Cependant, la plus grande des menaces des civic tech, c’est la désinformation. Et si nous arrivons à endiguer ce fléau; nous allons réussir notre objectif en termes de responsabilité et de plaidoyer pour le respect des droits de l’homme. Cela passe par la création d’espaces de vérification d’information qui peuvent nous permettre de combattre les fake news et les discours de propagande.


Je suis convaincu que la plupart des organisations et des individus qui s’activent à travers les plateformes digitales et les réseaux sociaux et qui croient aux capacités de notre continent peuvent contribuer à concrétiser ce chantier.”

Il faut noter en définitive qu' une trentaine de participants a suivi la session qui a été très interactive. Ce qui démontre encore que la question de la contribution des civic tech dans le processus de démocratisation en Afrique intéresse bon nombre de jeunes africains et d’acteurs de la société civile. 

A bientôt pour un nouveau webinaire sur une autre thématique traité dans le cadre du Mooc Démocratie, Élections et Gouvernance en Afrique activité du Charter Project Africa. 

Par Seydina Bilal Diallo et Abdou Aziz Cissé 

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