Extrémisme violent : quelles solutions pour les pays côtiers, nouvelles cibles du terrorisme ? Tel est le thème du cinquième vendredi du MOOC, organisé le 7 avril 2023 par AfricTivistes. Ce webinaire entre dans le cadre des activités pédagogiques du MOOC Démocratie, Élections et Gouvernance en Afrique.
Ci-dessous le podcast
Ce sujet à la fois sensible et existentiel car impactant la vie de plusieurs personnes, fait malheureusement l’actualité tous les jours. Les conflits persistent en Afrique et ce dans une large partie du Sahel central et dernièrement dans les pays côtiers, qui sont devenus les nouvelles cibles du terrorisme international.
Du Togo au Mozambique, nombre de pays côtiers après les pays du Sahel central deviennent de nouvelles cibles du terrorisme international. Pourquoi cet intérêt des tenants de l'extrémisme violent dans ces pays qui se trouvent dans des zones arides ? Au moment où les conflits font toujours rage dans les contrées du Sahel et plus particulièrement dans la zone des “trois frontières” (Mali, Niger, Burkina Faso).
Après avoir introduit le webinaire, le Dr Latyr Tine, Senior Programme Officer au Gorée Institute, a donné la parole respectivement à Abdou Khadre Cissé, Journaliste à APA News et spécialiste des Questions liées à l'extrémisme violent, à Julien Oussou, Coordonnateur Régional du Réseau ouest-africain pour la consolidation de la paix (WANEP), à Lamine Bara Lo, expert en Relations internationales et des questions de défense et de sécurité et àAïssatou Fall, experte et consultante internationale en Consolidation de la paix.
Ci-dessous les interventions en substance des différents panélistes.
Abdou Khadre Cissé, Journaliste à APA News et spécialiste de l'extrémisme violent
Les jihadistes ont besoin d’une interface maritime afin de profiter des couloirs de la contrebande pour s’approvisionner en armes
“Si on devait faire l’état des lieux du terrorisme islamiste ou de ce qu’on peut appeler «jihad moderne», on peut dire qu’il n’est pas encore vaincu. Si on s’appuie sur plusieurs rapports dont le dernier en date est celui de l’Institut pour l’Economie et la Paix (ICP), l’insurrection jihadiste n’a pas reculé dans cette région de l’Afrique. Quand nous parlons de cette région, allusion est faite au Sahel central, puisque c’est dans cette zone regroupant le Mali, le Niger et le Burkina Faso où on note une activité régulière des groupes dits jihadistes.
Selon l’indice global du terrorisme présenté par cette organisation, le Burkina Faso est le deuxième pays du monde le plus touché par le terrorisme en 2022, derrière l’Afghanistan. Pour un pays qui était 113e en 2011. Mais pour le Burkina Faso, il faut comprendre que tout a basculé à partir de 2014. Il faut rappeler que dans la même année, Blaise Compaoré a été chassé par un soulèvement populaire. Depuis, le pays des hommes intègres a surclassé le Mali qui se bat depuis 2013 contre les groupes jihadistes. Ce pays sahélien est selon le classement de l’ICP, le quatrième le plus touché par le terrorisme en 2022.
Jama'at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM) ou Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) est responsable en 2022 de 77 attaques pour 279 décès et 215 blessés. Quant à l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest qui agit principalement au Nigeria (dans le Lac Tchad et dans l’Etat de Borno), il est responsable de 65 attaques qui ont occasionné la mort de 219 personnes et blessé 118 autres. Mais il faut préciser que ces chiffres sont bien en deçà de la réalité car les attaques non revendiquées dépassent de loin les assauts commis par les insurgés.
Car il faut comprendre que la revendication d’une attaque terroriste suit une certaine logique. Les groupes revendiquent selon un certain standard et prennent en compte beaucoup de paramètres dont l’opportunité, la cible et surtout l’impact. Pour une organisation comme Al Qaïda, ses revendications sont essentiellement tournées vers les actions contre les forces de défense et de sécurité et leurs supplétifs. L’Etat islamique, quoi qu'il épouse la même logique, n'hésiterait pas à revendiquer des attaques contre des victimes civiles mais ne les présentait pas comme telles. Ces dernières peuvent être présentées comme des espions au service des armées ou de l’ennemi, Al Qaïda.
Comme vous avez pu le remarquer, le terrorisme se déplace de plus en plus vers les pays du Golfe de Guinée. En mars 2016, Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) a revendiqué sa première attaque en Côte d'Ivoire, notamment à Grand Bassam, une station balnéaire qui se trouve à une quarantaine de kilomètres d’Abidjan.
Deux mois plus tôt, la même organisation s'en était pris pour la première fois à Ouagadougou. Ces actions étaient l’œuvre d’Al Mourabitoune, qui, sous la direction de Mohamed Ould Nouini, s’était à l’époque arrogée le rôle de mener les attaques extérieures d’Aqmi. Rappelons que Al Mourabitoune constitue avec Ansar Dine, La Katiba du Macina et l'émirat du Sahara, la branche sahélienne du groupe terroriste fondé par Osama Ben Laden.
Les pays dits côtiers se sont retrouvés dans le collimateur des jihadistes, en faisant céder le verrou burkinabé. C’est d’ailleurs ce qui explique en partie l’instabilité socio-politique que traverse ce pays qui a connu deux coups d’Etats en moins d’une année. Cette vulnérabilité a permis aux groupes jihadistes d’accéder aux régions nord de pays comme le Bénin, le Togo ou encore le Ghana. Il est vrai que pour l’heure, les attaques menées dans le septentrion de ces pays ne peuvent être considérées comme relevant essentiellement du « harcèlement » mais c’est parti d’une stratégie bien réfléchie consistant pour les groupes jihadistes à resserrer la pression subie un peu plus au nord. D'ailleurs, le chef d’Aqmi, Abou Obaida Youssef al Annabi l'a rappelé dans un entretien avec Wassim Nasr (journaliste à France 24). L’objectif est de gagner du terrain.
Il s’agit aussi selon plusieurs experts de profiter des couloirs de la contrebande pour s’approvisionner en armes entre autres. D’un autre point de vue, les pays côtiers sont ciblés pour leur faire payer leur « hostilité » aux jihadistes à travers leur participation à la mission onusienne au Mali.
Mais contrairement à certaines thèses, les jihadistes ont vraiment besoin d’une interface maritime. Au Mozambique, les « shebabs », (nom donné aux jihadistes locaux affiliés à l’Etat islamique) ont occupé le port de Mocimboa da Praia sans en tirer vraiment avantage.
Il a fallu créer les conditions d’établissement dans le nord de ces pays. Cela passe par une stratégie pensée dans un premier temps par AQMI à travers la Katiba du Macina. Bernard Emié, patron de la DGSE (direction de la sécurité extérieure de la France) a révélé en 2021 que les services français ont connaissance d’un projet d’Al Qaïda de s’étendre dans les pays du Golfe.
Cependant cette information proviendrait de l’exploitation d’une vidéo récupérée dans l’ordinateur d’un membre de la cellule communication du GSIM. Donc, il faut comprendre que les jihadistes qui attaquent le nord de ces pays appartiennent dans leur majorité au GSIM. Cependant, en juillet 2022, l’Etat islamique a revendiqué ses premières attaques dans le nord du Bénin, précisément dans l’Alibo,arrondissement situé dans le département de l'Atlantique).”
Julien Oussou, Coordonnateur Régional du WanepLes Etats côtiers ont vu la menace terroriste progresser du nord voisin sans développer une solidarité active
“ Les pays côtiers commencent à sentir les détonations de la menace. Donc ça veut dire que la menace entretemps a commencé a progressé du Sahel central aux pays côtiers. Dans cette progression on peut cibler des facteurs externes aux pays côtiers. et de plus en plus dans ces pays il y a une crainte que des foyers endogènes puissent se mettre à se nourrir des fragilités au niveau des territoires.
La présence de groupes extrémistes dans le Sahel en grand nombre, nous permet de prendre rapidement deux ou trois facteurs qu’on peut considérer comme externes comme la présence en grand nombre de groupes extrémistes dans les pays sahéliens du nord frontaliers des pays de la zone côtière tels que le Bénin, le Togo ou la Côte d’Ivoire. Cette présence est un indicateur parce que des pays comme le Liberia, la Sierra Leone, la Guinée Bissau, la Gambie ne sont pas encore touchés au même titre que les pays frontaliers au Sahel central. Ca voudrait dire que ce partage de frontières est un élément clé de la présence de ces groupes.
Depuis 2016, on à sentir la menace descendre du nord vers le sud et donc une présence, un mouvement qui est plus actif par le fait que les armées du Sahel central luttent de plus en plus contre la menace donc elle () se met à bouger pour contrer la puissance de feu des armées. Et une présence qui cherche aussi d’une certaine façon une nouvelle zone de repli pour se mettre à l'abri et pour continuer d'opérer et de bénéficier des avantages découlant de leurs activités criminelles.
Nous avons également une présence qui cherche de nouvelles voies d'approvisionnement. Nous savons que des pays comme le Bénin, le Togo… constituent des zones d'approvisionnement logistiques pour les extrémistes.
Les massifs forestiers communs au Burkina Faso, au Niger et au Bénin, sont des lieux de repli et de cachette. Il y a aussi la porosité des frontières si on regarde le timing dans lequel des zones sont prises au Burkina Faso et au Bénin par exemple, on se rend compte qu’il y a une facilité de traverser les frontières de part et d’autre.
L’autre facteur important c’est le fait que les Etats côtiers ont vu la menace progresser du nord voisin jusqu'au sud sans vraiment développer une solidarité active qui allait leur permettre de la contenir au niveau du Sahel ou de l'anéantir.
Parmi les facteurs internes au pays côtier, il y a les conflits communautaires dans la partie nord de la sous-région violents et récurrents souvent entre des éleveurs et des agriculteurs. Ces conflits constituent des terreaux fertiles au recrutement.
Nous avons également les conflits liés au foncier et toute la vague de frustrés que cela génère et la présence d'activités illicites liées au trafic de drogue et d'êtres humains sans oublier les conflits politiques frontaliers entre par exemple le Bénin et le Togo. Il y a enfin le facteur religieux qui, qu'on le veuille ou non à tort et à travers, est un élément important de la menace djidahiste.
Lorsqu’on convoque les organisations économiques régionales, on fait appelle d’abord aux Etats qui sont au front tout en étant ouverts à une certaine coordination régionale, continentale ou internationale car les menaces sont transfrontalières.
Au niveau de la cedeao, le phénomène est bien étudié. Lorsqu’on regardez le plan 2020-2024 prioritaire pour eradiquer le terrorisme avec un budget de plus de 2 millards, les Etats priment sur la communaute mais doivent s’ouvrir à la dynamique regionale souhaitée par la Cedeao qui coordonne, accompagne et edicte des normes regionales pour coller à la realite de la menace et faciliter des synergies et collaboration entre les Etats.
La Cedeao est très focus sur son Plan de prévention des conflits dans la sous région qui lui permet par rapport au volet militaire de faire interagir les États major des pays membres. Mais aussi de faire interagir les sociétés civiles et les médias.
La grande préoccupation c’est que beaucoup d'États continuent de considérer que l’action doit être impérativement dirigée par la force communautaire. Le rôle de la Cedeao c’est de coordonner et de faciliter la mutualisation des efforts et les stratégies de renseignement étatiques. La Cedeao a contribué à la facilitation du financement de la lutte contre le terrorisme par la formation et à l’equipement des forces étatiques. Et cela passe aussi par le soutien aux plans de développement locaux.
Toutefois, étant jaloux de leurs souverainetés, les Etats ne font pas tous les efforts quil faut pour s’ouvrir pour permettre à l’instance regionale de jouer son role de coordination de la réponse sécuritaire commune face à l’extremisme islamiste.
La Cedeao doit être beaucoup plus agressive pour lever des ressources et aider les Etats à avoir les moyens d'opérer aussi bien sur le plan militaire que civil parce que la lutte doit être menée sur les deux axes.”
Lamine Bara Lo, expert en relations internationales en défense et de sécurité
Il ne peut y avoir d’actions efficaces contre le terrorisme cantonnés aux seuls Etats
“ Les causes on les trouve du côté de l’Etat et de ces manquements. À côté, les groupes armés terroristes essaient de délégitimer l'État afin de se substituer à celui- ci. Ce faisant c’est aussi une manière d'avoir le contrôle sur les activités criminelles qui se déroulent dans ces zones. Ce qui fait qu’il existe une hybridation de la menace entre les groupes armés terroristes et les autres acteurs qu’on peut considérer comme criminels.Face à l'avancée du terroisme qui est parti du Sahel central, il faut remarquer qu’il y’a une forme de cécité stratégique des Etats. Cependant les responsabilités sont partagées par rapport à cette inertie. Comme on le constate, la menace évolue vers les pays côtiers. Il faut remarquer dans ce registre que trois pays (le Bénin, le Togo, la Côte d’Ivoire) ont été touchés par ce fléau venu du Sahel. Au même moment, le Ghana, le Sénégal… alors que partageant les mêmes frontières, n’ont pas été touchés.
La menace terroriste il faut l'apprécier sous l’angle d’une menace externe ou interne. Jusque là, la plupart des Etats concoivent le terrorisme sous l’angle de la menace exterieure. Donc les pays qui n’ont pas de connectivité territoriale avec les zones touchées ne sentent pas l’urgence de prendre des mesures sécuritaires.
Mais globalement, la plupart des Etats côtiers dans une dynamique générale prennent des mesures qui passent non seulement par des réponses au niveau des textes comme le code pénal, mais également à travers des stratégies de sécurité nationale et de prévention de l'extrémisme violent.
Ces stratégies sécuritaires mettent le curseur sur deux ou trois éléments: Une refondation des forces de défense et de sécurité (forces de sécurité intérieure et les forces armées) en train d'être capacité en opérationnalité et en matériels.
Le paradigme majeur dans tous ces pays est la lutte antiterroriste. On reste sur des paradigmes purement antiterroristes en essayant de renforcer que ça soit au Sénégal où les structures qui ont été mises en place vont dans le dynamique de cette lutte et aussi en Côte d’Ivoire avec la mise en place d'écoles de formation contre le terrorisme. Donc ce sont des forces militaires qui sont renforcées et des pays comme le Togo ou le Bénin renforcent leur matériel aérien pour anticiper sur la menace.
Dans un autre registre, le problème réside dans le niveau de professionnalisation avec un problème de formation et de capacités mais aussi des doctrines non adaptées à la menace terroriste qui est de nature asymétrique.
La plupart des pays aujourd’hui ont renforcé leur appareil sécuritaire et leurs forces armées pour les préparer à faire face à cette menace existentielle. Maintenant les pays n'ont pas les mêmes approches en raison de la proximité avec les foyers de conflits. Le Bénin et le Togo sont carrément face à la menace. Le Sénégal lui se prépare surtout du côté de sa frontière avec le Mali avec des dispositifs sécuritaires ambitieux mis en place.
Un des éléments qui n’est pas toujours mis en avant dans les mesures prises dans les pays côtiers c’est le renforcement des dispositifs de prévention et d’anticipation (les services de renseignement). Ces derniers constituent le premier maillon de la lutte antiterroriste. Et la plupart des pays en proie ou non avec le terrorisme l’ont compris en modifiant leur cadre juridique et en renforcant les moyens humains technqiues.
Sur le plan régional , il faut noter qu’il y’a des prérogatives de sécurité collective dévolus à la Cedeao comme organisation régionale. L’organisation depuis 2012 essaye de prendre sa part dans la lutte contre le terrorisme à partir du Mali. Mais il faut constater que les moyens ont souvent fait défaut, ce qui fait que son leadership n’a pas toujours été incarnée comme il le fallait.
Face à ces absences de réponses de sécuritaires collectives portées par l’organisation régionale, on a eu à la place des alliances de défense comme le G5 Sahel et plus récemment de l’Initiative d’Accra. Le G5 Sahel est dans une trajectoire déclinante. Aujourd'hui l’Initiative d’Accra qui concerne plusieurs pays côtiers est un peu plus en vue et beaucoup plus acceptée politiquement avec moins de frictions avec la Cedeao avec un leadership du Nigeria. C'est une action d’envergure qui permet des opérations transfrontalières parce que les terroristes jouent aujourd’hui sur la porosité des frontières.
Il ne peut y avoir d’actions efficaces cantonnés aux seuls Etats. Les terroristes ont besoin de profondeur stratégique pour leurs activités criminelles. Donc il faut que la lutte ait un spectre plus large comme celle de l’Initiative d’Accra.
Mais pour autant, la Cedeao a décidé de mettre en place une force antiterroriste à l'échelle régionale. Aujourd’hui il existe des rencontres et des évolutions pour mettre en place une brigade régionale. Pour une action régionale efficace, il faut dégager des moyens et au regard des problèmes politiques, on a besoin de financer les forces régionales. Les Etats qui vont constituer cette force régionale doivent former et outiller les éléments internes, Toutefois au niveau des Etats, il existe ce problème de formation et de capacitation.
Dans la plupart des pays côtiers où l’exploitation en cours ou à venir des ressources naturelles, les risques sont liés à la piraterie. Les différentes marines de ces pays sont en train de se renforcer comme le Sénégal qui a beaucoup investi ces dernières années pour renforcer sa marine nationale en dispositifs de surveillance et d’intervention. La Côte d’Ivoire est aussi en train de faire la même chose. Il y’a une coopération régionale qui enjambe l’Afrique de l’ouest et va jusqu’en Afrique centrale.
La piraterie maritime est un élément à prendre en considération parce que dans d’autres régions du monde on a vu comment cette activité criminelle s’est imbriquée à la menace terroriste. Aujourd’hui, nous avons des réponses intérieures avec le renforcement des capacités humaines et matérielles des forces armées et toutes ces forces intérieures comme extérieures ont comme paradigme majeur la lutte antiterroriste.
Au Sahel, aujourd’hui il existe un grand débat sur le rôle des partenaires internationaux et tout ce que ce débat a occasionné comme tensions politiques entre certains Etats avec certains partenaires. La lutte contre le terrorisme s’est accentué sur l’aspect militaire et securitaire depuis très longtemps et le constat général est que les réponses sécuritaires ne sont pas à même de venir à bout du terrorisme.
A partir de 2015, il y a eu un plan d’action du Secrétariat Général des Nations unies qui a été adopté. Ce plan d’action invite les Etats et les partnaires à mettre l’accent sur la prévention et de ne pas seulement se limiter sur la lutte mais de s’interesser aux causes profondes qui font advenir le terrorisme.
C’est là où l’action des partenaires internationaux devrait se concentrer. Déjà il y’a un problème politique qui se pose pour l’engagement de terrain. Une opinion publique africaine pour plusieurs raisons est souvent opposée à ses partenaires alors que la lutte contre ce phénomène s’inscrit dans la durée. Donc l'absence de résultats palpables pour un certain nombre de populations poussent à un certain rejet des opérations conjointes internationales.
Certaines positions défendues par des acteurs sur la présence des forces voudrait que les forces locales africaines soient mises en avant. Aujourd’hui il faudrait en considération des orientations de l’ONU éviter de mettre l’accent sur l’engagement des partenaires internationaux sur les aspects liés à la lutte militaire.
Les partenaires devraient plus mettre l'accent sur les questions liées à l'équité territoriale, à la lutte contre la pauvreté, à l'accès aux services sociaux de base, aux infrastructures de base parce qu’ils disposent de moyens financiers considérables donc leurs actions devraient davantage se concentrer sur ces éléments là qui sont liées à toutes les formes d’exclusion qui mènent à la radicalisation particulièrement des jeunes. C’est à ce niveau où on a plus besoin de l’apport des partenaires pour amener des réponses pour plus d’inclusion politique, économique et sociale.
Sur le plan purement militaire, il faudrait que les partenaires internationaux accentuent leurs appuis dans la capacitation matérielle et de formation. Sur le plan opérationnel, les forces africaines doivent être mises en avant parce que les risques politiques que peuvent prendre ces éléments, les partenaires internationaux ne peuvent pas les prendre sur le terrain. Les forces des Etats africains ont moins de contraintes politiques par rapport à la prise de risques sur le terrain. Donc pour ces opérations territoriales que ces forces soient prioritaires et que l’appui des partenaires soit privilégié sur le plan des capacités. En meme temps cela permettra aux africians de garder en leadership sur la lutte contre le terrorisme.
Les pays africains, en partant de cadres intégrés politiquement, économiquement, militairement et socialement comme la Cedeao, doivent pouvoir orienter les partenaires comme l’Onu, l’Ue, les Etats Unies sur la prévention et la capacitation. C’est en même temps une manière d'éviter et d’anticiper sur la lutte d'influence que se livrent les puissances étrangères dans le Sahel et qui est de nature à renforcer l'insécurité.”
Aissatou Fall, Consultante internationale en résolution de conflits
Il faut impliquer toutes les composantes de la société spécifiquement les femmes et les jeunes en tant qu’acteurs avec un rôle à jouer
“Quelque soit la nature du conflit, ce qui est toujours important de faire c’est toujours d’abord d’avoir une très bonne compréhension des enjeux. Premièrement, dans le cas de figure qui nous est présenté, il faut se demander les causes profondes. Ainsi que les différentes parties. Et quelles sont leurs motivations ou objectifs. Et finalement les enjeux.
Deuxièmement, il faut toujours avoir à l'esprit que les conflits de nature terroriste, ethniques ou religieux sont toujours le résultat d’une combinaison de facteurs qui peuvent être d’ordre structurels, politiques, économiques… Si on prend le cas des pays du Sahel les facteurs sont plutôt des frustrations venant pour la plupart de ces pays d’une jeunesse laissée à elle-même exclu des prises de décision. Ces facteurs mis ensemble sont des points de faiblesse exploités par les djihadistes.
Troisièmement, il faut tenir en compte que ces causes constituent un terreau fertile de recrutement des jeunes.Toutefois même dans des pays développés comme en Occident, la jeunesse s’adonne à des activités terroristes. Ce que les extrémistes proposent et que les Etats ne proposent pas aux jeunes c’est un certain leadership qu’ils n’ont pas dans la société. Pour faire revenir et consolider la paix, le contexte est important et il faut l’aborder de manière multidimensionnelle.
La consolidation de la paix nécessite le rapprochement des populations qui sont les plus impactées et aussi l’écoute active auprès de ces derniers. Il faut également impliquer toutes les composantes de la société spécifiquement les femmes et les jeunes à tous les niveaux et de façon active pas en tant que sujets à protéger mais qui ont un rôle à jouer en collaboration avec les forces de défense et de sécurité.
Il faut également renforcer les activités de décentralisation qui donnent plus de prérogatives à ces populations afin qu'elles puissent contribuer. L’enjeu lié au renforcement de capacités est intéressant parce que le fléau a une dimension qui touche le manque d'éducation et de formation.
Il existe plusieurs réunions ou on parle d'extrémisme violent mais c’est rare qu’on associe des gens qui viennent du terrain pour partager leurs expériences. Ce travail ne peut pas se faire sans des objectifs clairs et précis avec des activités et des résultats bien délimitées à travers des plans d’action supportés financièrement et techniquement.
Il faut également dans les dynamiques de consolidation de la paix, faire appel à des instruments légaux régionaux ou internationaux comme les résolutions 13-25 et 22-50 de l'Onu qui prônent une participation active des femmes, des jeunes dans tous ces processus.
L’Union africaine (Ua) a commencé à réflechir très tôt sur le terrorisme matérialsé par des actes importants qu’ils ont posé. En 1999, l’OUA avait déjà la Convention d’Alger sur la prévention et la lutte contre le terrorisme. En 2001, les chefs d'Etats africains ont mis sur pied la Déclaration de Dakar pour insister sur l’atteinte aux droits de l’Homme causés par le terorisme mais aussi pour renforcer la coopération entre les Etats.
En 2002, l’Ua a mis en place une Convention sur la lutte contre le terrorisme. Ensuite, il y’a eu un protocole additionnel àla convention et le Centre africain d’etudes et de recherche sur le terrorisme à Alger mais le problème réside toujours dans la mise en oeuvre de tous ces instruments ratifiés.
Pour en revenir à notre contexte récent, il faut savoir que la lutte contre le terrorisme est devenue partie intégrante des activités de l’Ua tels que l’inititative Faire Taire Les Armes d’ici 2030 et l’Agenda 2063. Ce qui est plus important ce sont les opérations de maintien de la paix dont la plus importante est l’Amisom dotée de 17 000 troupes depuis 2007 deployée en Somalie avec un mandat de lutter contre le terrorisme.
L’organisation continentale a aussi mis sur pied des opérations antiterroristes en collaboration avec des communautés économiques régionales comme la communauté du Bassin du Lac Tchad ou la Force multinationale mixte contre l'insurrection menée par Boko Haram dans cette région qui englobe le Cameroun, le Nigeria, le Tchad et le Niger.
Il y a aussi le G5 Sahel qui regroupait à ses débuts la Mauritanie, le Tchad, le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Mais le Mali s’est retiré le 15 mai 2022 de ce groupe. Cette force mis en place depuis 2017 pour contrer le terrorisme dans la bande sahélo-sahelienne bénéficie du soutien de l’Onu, de l’Ua et l’Ue.
Par la suite, nous avons vu des initiatives de l’organisation continentale comme le Processus de Nouakchott lancé en 2013 qui constituait un cadre de concertations réunissant plusieurs pays tels que l'Algérie, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Niger, la Libye, le Sénégal… afin de renforcer la coopération sécuritaire et opérationnaliser l’Architecture africaine de paix et de sécurité (APSA). Nous avons également d’autres initiatives qui ne sont pas de l’Union africaine mais reconnues.
Pour résumer, l’Ua n’est pas resté les mains croisées. Maintenant, la question qu’il faut se poser sommes-nous arrivés à la situation actuelle au Mali, au Burkina Faso, au Nigeria… en ayant toutes ces initiatives. Peut-être qu’il faut revoir les approches qui sont très réactives et traitent les conséquences. L’autre facteur est la faiblesse des structures institutionnelles et l’insuffisance des ressources.
Le dernier élément est la résurgence des coups d’Etats militaires qui fait que les dynamiques de lutte contre le terorisme vont changer au gré des changements anticonstitutionnels de pouvoir.”
Cette édition des Vendredis du MOOC a vu la participation très interactive d' une quarantaine de personnes. Ce qui démontre encore que la question de la menace terroriste qui se développe dans plusieurs pays africains intéresse bon nombre de jeunes africains et d’acteurs de la société civile qui ont un rôle primordial à jouer dans la prévention de ce phénomène mondial qui sape notre cohésion sociale. A bientôt pour un nouveau webinaire sur une autre thématique traité dans le cadre du Mooc Démocratie, Élections et Gouvernance.
Par Abdou Aziz Cissé et Aisha Dabo