De la nécessité de limiter les mandats en Afrique !

Les Vendredis du Mooc Démocratie, Elections et Gouvernance

AfricTivistes lance le concept les “vendredis du Mooc Démocratie, Élections et Gouvernance en Afrique”. Il s’agit d’une série de webinaires portant sur les différentes thématiques traitées dans le cadre de son programme d’enseignement à distance. La première session, animée par des experts émérite, scrute de fond en comble la question de limitation des mandats.

Ci dessous le podcast

“Limitation des mandats en Afrique : quels rôles pour la société civile ?” Tel est le thème du premier panel modéré par Maurice Thantan Chargé de projet à AfricTivistes et qui a enregistré une cinquantaine de participants.

Introduisant le webinaire, Monsieur Thantan a précisé que lorsqu’on parle de troisième mandat dans cette session, on vise uniquement les mandats présidentiels qui sont les plus en vue et plus susceptibles de subir des tripatouillages de constitutions.

Dans le cadre de la démocratie, souligne Maurice Thantan, l’alternance au sommet de l’Etat est un attribut important. Malheureusement sur le continent, regrette-t-il, on constate que la pratique n’est pas toujours dans le sens de cette limitation des mandats pour garantir l’alternance au sommet. C’est pourquoi, dit-il, des organisations de la société civile comme AfricTivistes se sont engagées en matière de promotion de la défense de la question de la limitation des mandats en Afrique. Au cœur de nos échanges, indique-t-il, il sera question du rôle des organisations de la société civile par rapport à ce fléau. Aussi, ajoute-t-il, il sera question de la contribution des jeunes dans ce combat. 

Après avoir introduit le webinaire, Maurice Thantan a donné la parole respectivement au Pr. David Ekoué Dosseh, Coordonnateur de la coalition nationale Tournons La Page; à Mme Lidet Tadesse: Directrice associée à ECDPM; à M. Alexandre Lette, Journaliste, Consultant projet Civic Tech; et à M. Aubin Kpoviessi: Chef de la Division des TIC à la Mairie Avrankou au Bénin.

Ci-dessous les interventions exhaustives des panélistes.

Pr. David Ekoué Dosseh, Coordonnateur de la coalition nationale Tournons La Page


“Il faut une stratégie solidaire pour la défense de la limitation des mandats”

“Ce webinaire permet de discuter d’une question capitale autour de la consolidation de la démocratie en Afrique. Il s’agit de la question de limitation des mandats. Effectivement, on peut se demander pourquoi aujourd’hui en Afrique, limiter les mandats peut rimer avec consolidation de la démocratie. Je pense que la réponse est simple. Il faut d’abord se remémorer le contexte de ces dernières années marqué essentiellement par des stratégies nouvelles en vue de permettre une captation du pouvoir politique. Les ingénieries des régimes politiques en place ont trouvé un moyen pour conserver le pouvoir au-delà des limites prescrites par les constitutions. Et on se rend compte que les institutions régionales comme la CEDEAO et continentales comme l’UA n’arrivent pas à trouver la bonne parade. (…)

Le plus désolant, c’est que ces stratégies nouvelles de conservation et de captation du pouvoir politique induisent des conflits. Le National Democratic Institute (NDI) a fait un excellent travail en ce sens pour démontrer qu’en dehors des luttes pour les territoires, de grands conflits en Afrique sont liés à ces stratégies qui consistent à capter les pouvoirs politiques. Et c’est des changements constitutionnels. On change une virgule dans la constitution, on dit que c’est une nouvelle constitution et donc une nouvelle République. On remet les compteurs à zéro pour considérer le troisième mandat comme le premier de la nouvelle République. (…)

Une autre stratégie, c’est de créer une nouvelle constitution bien adaptée à une personne. Ce fût le cas au Togo en 2005. On a vu l’actuel Président arriver au pouvoir par un putsch. Lorsque son papa est décédé, la Constitution avait des règles bien précises. Il fallait que le Président de l’Assemblée nationale assure l’intérim jusqu’aux prochaines élections. Mais les militaires sont venus à la télévision pour lui confier le pouvoir. Ensuite, il y a eu plusieurs micmacs constitutionnels. On a changé les dispositions de la Constitution en l’espace de 24 heures. Il y a eu plusieurs dispositions qui ont été changées pour permettre justement à ce que cette nouvelle constitution qui est en train d’être mis sur pied dare dare permette au jeune Président qui était bénéficiaire du putsch d’avoir cette légitimité constitutionnelle pour son pouvoir.

Quand on comprend, ces différentes stratégies mises en place n’arrivent pas à trouver des réponses adaptées mais que ces différentes stratégies sont responsables des conflits socio-politiques très graves et dramatiques pour les populations (On en a connu au Togo, en Guinée, en Côte d’Ivoire, au Soudan, etc.), il faut alors essayer de trouver la parade pour limiter les mandats présidentiels. Nous sommes conscients que limiter les mandats présidentiels ne veut pas dire forcément la démocratie. Mais au vu du contexte, il est important qu’on dise aux différents chefs d’Etat, aux responsables de régimes politiques que quel que soit leur dextérité, une fois qu’ils prennent le pouvoir, il faut qu’ils comprennent qu’ils ne peuvent pas aller au-delà d’une limite prescrite par la constitution. Et donc, c’est ce qui nous a amenés à dire que cela doit être notre cheval de bataille.

On distingue souvent le milieu francophone de celui anglophone. Parmi les pays anglophones, on a le sentiment qu’ils sont beaucoup plus en avance avec des alternances politiques pacifiques. Généralement, on a le sentiment que les pays anglophones ont pour la plupart franchi ce cap. Les forces et les énergies sont déployées sur d’autres enjeux contrairement aux pays francophones dans lesquels, nous avons beaucoup de situations où les chefs d’Etat vont largement au-delà des limites des mandats. Parmi les pays anglophones, on peut citer en exemple, le Ghana, le Botswana, le Nigéria,…

Cependant, dans les pays francophones, il y a heureusement des Etats qui sauvent la face. Au Sénégal par exemple, on a le sentiment qu’il y a une velléité de faire un troisième mandat malgré tout quand même il reste une espèce d’oasis de la démocratie ou d’alternance politique pacifique au sein des pays francophones. A côté du Sénégal, on peut citer le Bénin. Maintenant, vous avez les pays lusophones, le Cap-Vert qui est franchement un grand modèle en termes d’alternance politique démocratique. 

Maintenant, il nous revient, nous qui sommes à la traîne de ne pas accepter cette situation et de tout mettre en œuvre pour que la question de l’alternance devienne une réalité dans nos pays.

Je suis au Togo et il fait partie de la CEDEAO et c’est le seul pays de la CEDEAO à n’avoir jamais connu une alternance politique pacifique. C’est donc une espèce de tare et cela doit nous amener à nous dire qu’est-ce qu’on peut faire pour changer la donne. On est également en tant que organisation de la société civile esseulée dans ce contexte difficile. Parce que quand les régimes mettent tout en œuvre pour restreindre l’espace civique et faire en sorte qu’il n’y a pas de voix contestataire; que quelqu'un ne vienne dire à la population que ce n’est pas normal ce qui se passe. Donc, on fait tout pour restreindre l’espace civique. Vous avez peu la possibilité de vous exprimer en vue d’amener les populations à comprendre la nécessité de cette stratégie de limitation des mandats présidentiels. Il faut une stratégie solidaire pour la défense de la limitation des mandats. Il faut y aller avec les organisations de la société civile africaine et même internationale et mettre en place une vraie force organisationnelle. De la même manière que les chefs d’Etat (je ne vais pas dire qu’ils constituent un syndicat au sein des institutions; mais il est certain qu’il y a une solidarité entre eux lorsque l’un se retrouve en difficultés) bénéficient de soutien d’autres chefs d’Etat pour que leur stratégie mis en place pour conserver le pouvoir puisse prospérer dans un pays, dans un second, puis dans un autre, etc. Cela s’est passé au Togo. Le Président Faure a bénéficié du soutien du Président Alpha Condé. Ensuite, on a vu Alpha Condé s’inscrire résolument dans une stratégie de troisième mandat et on a vu là où ça a conduit la Guinée…..”


Mme Lidet Tadesse, Directrice associée à ECDPM



“Le continent n’a pas de documents qui légifèrent sur la limitation des mandats présidentiels”

“Lorsque nous parlons d’acteurs internationaux et du rôle qu’ils pourraient jouer, il faudrait d’abord prendre en considération plusieurs choses.

Tout d’abord, il faudrait identifier les acteurs nationaux devant intervenir sur la question des mandats de trop qu’il s’agisse de la population, des organisations de la société civile, mais aussi des institutions et entités judiciaires légales. Il faudrait également bien sûr parler des institutions régionales et continentales telles que la CEDEAO et l’UA. (…) Sans oublier les partenaires internationaux qui jouent un rôle prépondérant dans ces questions.

A noter que la gouvernance démocratique est un objectif auquel tous les pays d’Afrique devraient aspirer. Plusieurs conventions d’institutions régionales ou continentales ont été ratifiées par les gouvernements telle que la Charte africaine pour la démocratie, les  élections et la gouvernance qui régissent les élections, la culture démocratique et le respect des processus démocratiques ainsi que la bonne gouvernance dans les Etats membres de l’UA . Mais cette convention ne pose pas de limitation des mandats présidentiels.

Malheureusement, le continent n’a pas à ce jour au niveau continental ou au niveau sous régionale de documents qui légifèrent sur la limitation des mandats présidentiels. Donc, au niveau de l’UA et des organisations régionales, il y a bien sûr un accord sur les principes démocratiques et si on se penche sur le plateforme africaine de gouvernance (AGA) et le contexte dans lequel elle a été mis en œuvre, il s’agissait de voir comment limiter les mandats et faire appliquer ce principe dans les pays d’Afrique à la fin des années 1990.  Malheureusement, les Etats membres n’avaient pas ratifié cette clause. Plusieurs Etats membres n’étaient pas d’accord d’avoir cette limitation des mandats au niveau continental.

Mais lorsque nous regardons toujours au niveau continental et particulièrement au niveau de la structure de l’UA, le commissaire admet et défend le principe. Donc lorsqu’on parle de principes démocratiques, ils sont mis en œuvre par les acteurs continentaux et au niveau diplomatique, il y a une pression sur les acteurs nationaux qui défendent la culture démocratique. (…)

En outre, les acteurs internationaux qui prétendent avoir des valeurs démocratiques ont d’autres considérations que celles démocratiques. Il s’agit souvent de considérations commerciales, sécuritaires ou politiques et de plus en plus géopolitiques. (…) Il y a beaucoup de choses à prendre en compte et les réponses ne sont pas toujours directes.

A noter que lorsque nous parlons d’acteurs internationaux, nous parlons vraiment d’un ensemble très diversifié. Certains d’entre eux ont des valeurs démocratiques à cœur et les préservent bon an mal an. Nous pouvons prendre l’exemple de l’UE qui n’est pas très transparente dans ses pratiques. Et le respect de la politique étrangère dicte vraiment la prise de décision de l’UE.

Par ailleurs, il y a d’autres acteurs internationaux telles que la Chine, l’Inde, la Turquie, …qui sont très importants aujourd’hui dans le monde. Et ces acteurs ne parlent pas nécessairement dans leurs politiques étrangères de valeurs démocratiques. Très souvent, il s’agit d’implication commerciale ou géopolitique. Et ils préfèrent ne pas interférer dans les affaires internes des pays. Ils sont très explicites sur cet aspect et parfois un peu moins. Parce qu’il n’est pas très facile de prendre position sur la limitation des mandats présidentiels. Et donc, d’une certaine manière, même nos discussions en termes de limitation des mandats sont seulement applicables en termes d’agenda et de valeurs. (…)

A vrai dire, il faudrait soutenir les institutions nationales telles que les instances judiciaires et législatives. Il faut également parler de la limitation des mandats dans le dialogue politique. Très souvent les partenaires internationaux pourraient travailler pour s’assurer de la mise en œuvre de ces clauses-là pour ne pas être accusé d’hypocrisie. Et enfin, il faudrait impliquer les organisations de la société civile de manière à participer et à s’assurer que les Etats ne fassent pas pression sur ces acteurs-là.

En définitive, les acteurs internationaux devraient peut-être revoir leur participation avec les gouvernements qui insistent dans la violation de la limitation des mandats. (…)”

M. Alexandre Lette, Journaliste, Consultant projet Civic Tech

 


“Les plateformes de Civic Tech apportent un début de solution mais elles ne sont pas la solution à elles seules…”

“Avec la petite expérience que j’ai dans le domaine des Civic Tech depuis une dizaine d’années, je ne me souviens pas et je connais pas une initiative concrète qui une fois lancée a pu régler le problème de la limitation des mandats. Mais les Civic tech constituent un début de réponse car elles participent aujourd’hui à outiller les citoyens et à mieux comprendre le jeu démocratique de la cité. C’est en ce sens que l’usage des technologies civiques est pour moi primordial. Et par extension l’usage du numérique et du digital constituent un terreau fertile pour l'émergence d'une nouvelle conscience citoyenne.

Le digital nous offre aujourd’hui un moyen de plaidoyer très important. Prenons l’exemple du Sénégal, en 2011, on était dans un contexte avec un Président qui voulait faire un mandat de trop. Mais je me rappelle du rôle d’une initiative Civic Tech pionnière #Sunu2012 qui avait cristallisé énormément de dynamique citoyenne pour pouvoir porter la voix des citoyens pour dire non à une forfaiture constitutionnelle.

Et c’est là qu'on se rend compte que le digital utilisé de manière intelligente par des communautés et des groupes de personnes peut faire émerger des projets intéressants. Sous cet angle, on peut dire que les Civic Tech peuvent constituer un début de solution.

Mais cela ne consiste pas seulement à faire du monitoring électoral comme on a l’habitude de le voir dans plusieurs pays du continent avec #SenegalVote, #BeninVote… Il ya aussi d’autres initiatives de contrôle de l'action gouvernementale du suivi de l’engagement des promesses du gouvernement pour permettre aux populations de mieux comprendre le jeu démocratique. Mais aussi de permettre aux décideurs d'écouter les citoyens et de stopper certaines velléités de tripatouillages de la constitution. J’aime bien citer l'initiative Lahidi lancée par l’association des blogueurs guinéens dans un contexte assez particulier parce que la plateforme n’a pas empêché à Alpha Condé de se présenter pour un troisième mandat.

Donc il faut convenir avec moi que les plateformes de Civic Tech apportent un début de solution mais elles ne sont pas la solution à elles seules. La solution réside dans l'éducation à la citoyenneté des populations.

Elle réside aussi dans le fait que l’on pose le débat avec des termes clairs. En tant que jeune africain je ne suis pas dans le fétichisme des chiffres. Le problème réside dans le non-respect de la parole donnée de nos dirigeants et cette habitude qu’ont nos ces derniers de faire sauter les verrous à la fin de leur mandat pour en faire un mandat de trop.

Pour mieux appréhender cette question, les Civic Tech constituent un moyen pour mieux sensibiliser les populations à une autre forme de pratique de la citoyenneté.”

 

M. Aubin Kpoviessi, Chef de la Division des TIC à la Mairie Avrankou au Bénin

 

La question de la limitation des mandats ne passionne pas vraiment au niveau local.”

“Le problème est un peu profond au Bénin. Parce jusque-là aucun Président ne s’est déjà levé pour dire qu’il va faire un 3ème mandat. Mais à chaque fin de mandat, nous avons eu des suspicions. Quand Kerekou finissait son deuxième mandat en 2006, il y avait déjà des appels au 3ème mandat en 2005. Au point que le mouvement “Ne touche pas à ma constitution” conduite par Reckya Madougou ( opposante béninoise) avait eu beaucoup de succès. La même situation s’est déroulée avec Boni Yayi.

Lorsque l’actuel Président Patrice Talon a voulu avoir un deuxième mandat il a révisé l’article qui limitait le nombre de mandats pas dans le sens d’avoir un troisième mandat à l’avenir mais de le restreindre. Désormais la constitution stipule que personne ne peut faire plus de deux mandats. Mais avant c’était le vide. Tu avais la possibilité de faire un mandat d’aller te reposer et de revenir faire un second terme. Maintenant avec la révision constitutionnelle de 2019, aucun Président ne peut faire plus de deux mandats.

C’est la même chose au niveau local, les députés ne peuvent pas faire plus de 3 mandats. Avant, les députés étaient élus pour un mandat de 4 ans renouvelable à vie. Cependant, par rapport aux élus locaux, une limite n’est pas fixée. Donc la question est réglée au niveau national car même le député qui est élu dans une localité est avant tout un député du peuple.

Au niveau local, le citoyen n’est vraiment pas passionné par la question de limitation de mandats. S’il a son pain quotidien et qu’il est paix son problème est réglé. Même s’il se soulève pour cette question, c’est souvent parce qu’elle a été instrumentalisée par les adversaires des élus locaux en place.

Maintenant quand il y a des conflits qui surviennent et que les populations se plaignent des mandats de trop d’un Président ça peut commencer à intéresser au niveau local. Sinon cette question ne mobilise pas tellement.”

Ce premier webinaire riche en échanges, en enseignements et en recommandations a vu la participation d’une cinquantaine de personnes issus d’organisations de la société civile, des médias, des netizens et de web activistes. Il faut noter qu’une bonne partie est constituée d’apprenants du MOOC “ Démocratie, Elections et Gouvernance”.

Nous vous donnons rendez vous le 12 août 2022 pour un nouveau “ Vendredi du MOOC DEG” qui va porter sur les Civic Tech et la Participation Citoyenne. 

Par Seydina Bilal DIALLO  et Abdou Aziz CISSE 

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